La Nation U’wa, le secteur privé et la crise climatique : Les droits collectifs dans le système interaméricain

Photo: Laura Gómez Unda (courtesy of EarthRights International)
Par Juliana Bravo Valencia, Directrice du Programme Amazonie, EarthRights International
Après des décennies de lutte pour protéger son environnement et sa culture, le peuple U’wa, vivant au nord-est de la Colombie, a obtenu un jugement en sa faveur prononcé par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (la Cour). La décision constitue une étape importante dans la quête de justice du peuple U’wa, mais aussi un précédent majeur : c’est la première fois que la Cour a cité la « triple crise planétaire », à savoir la pollution, la perte de biodiversité et la crise climatique en rapport avec l’obligation de l’Etat de respecter et de garantir le droit à un environnement sain, avec des implications majeures dans l’intersection entre entreprises, droits de l’homme et droits autochtones en Amérique latine.
Le peuple U’wa protège ses terres ancestrales, aussi bien en tant qu’espace physique que comme fondement de sa culture et spiritualité. Ils le font à la mémoire de leurs ancêtres et pour se conformer à l’injonction de Sira, leur Créateur, qui leur a instruit de prendre soin de notre mère la terre. Ce travail est constamment menacé par divers projets touristiques et d’extraction de ressources, et par la militarisation en faveur des intérêts d’entreprises opérant sur le territoire des U'wa.
Dans les années 1990, les U’wa ont entamé un long parcours pour faire entendre leurs revendications et pour la reconnaissance de leurs droits. Ils ont fait campagne pacifiquement, en adressant des pétitions aux organismes nationaux et internationaux afin de prouver que leur cause était à la fois juste et nécessaire dans un pays où les droits des peuples autochtones sont de tout temps bafoués et leurs terres pillées au bénéfice d’intérêts privés. La Colombie n’a jamais reconnu que les droits fonciers et culturels des U’wa sont d’impérieuses priorités qui nécessitent une attention urgente.
La Cour a estimé que la Colombie était responsable, en vertu du droit international, d'avoir violé les droits fonciers, culturels et environnementaux de tout un peuple autochtone, y compris pour avoir autorisé la mise en œuvre de projets pétroliers, gaziers et miniers sur leurs terres. La cour a jugé que la Colombie avait l’obligation de consulter les peuples autochtones concernant les projets d’extraction qui peuvent les affecter. Elle a aussi déclaré que les Etats doivent prendre des mesures particulières pour atténuer les effets de l’exploration et de l’extraction d’hydrocarbures et autres minerais face à la triple crise planétaire, en mettant en exergue la crise climatique causée par l’extraction et l’utilisation des combustibles fossiles ainsi que par les émissions de méthane. La Cour a également prévenu que « le défi est complexe et multiforme et nécessite une réponse globale et urgente pour assurer la durabilité de la planète et le bien-être de ses habitants ».
Cette décision renforce la jurisprudence de la Cour sur la relation intrinsèque entre droits fonciers, culturels et environnementaux et leur lien invisible avec d’autres droits fondamentaux, en particulier la protection du droit à un environnement sain, comme condition essentielle à une vie de dignité et d’intégrité. La Cour a rappelé que les projets ou opérations affectant l’environnement posent un risque à la vie et à l’intégrité des êtres humains. Elle a aussi souligné le devoir de l’Etat de réguler les activités qui peuvent causer des dommages importants sur l’environnement, en particulier les activités économiques.
La Cour a également estimé que dans cette affaire l’Etat était responsable de la violation des droits de l’enfant. Elle a expliqué que les Etats ont une obligation particulière de protéger les enfants durant les manifestations et veiller à ce qu’aucune mesure prise par l’état - telle que l’usage de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestations - n’affecte les droits de l’enfant.
Bien que ce jugement soit une victoire qui fera date, la Cour n’a pas saisi l’occasion pour réaliser une analyse approfondie sur les droits au consentement et à l’autodétermination : deux problèmes qui sont fondamentaux aux droits des peuples autochtones. Une analyse du fondement et de la nature juridique du droit au consentement, une compréhension de son champ d’application, et les limites de sa comparaison avec d’autres droits fondamentaux est essentielle et demeure une dette non régléepar le système interaméricain pour la promotion et la protection des droits de l’homme.
Cette décision marque une première étape en vue de la reconnaissance des droits de la Nation U’wa dans ce contexte. A présent, le défi à relever est de veiller à ce que la décision soit appliquée de manière effective. Cette décision sans précédent devrait rapidement être suivie de l’avis consultatif de la Cour sur l’Urgence Climatique, qui pourrait mener à l’élaboration de normes importantes pour la région. Il s’agit d’une avancée judiciaire cruciale en vue d’une régulation du comportement des entreprises au moment où leurs obligations en matière de droits de l’homme aux États-Unis et en Europe sont érodées sous prétexte de les rendre plus compétitives.