France: Umicore contraint de dépolluer un ancien site minier qui serait la cause de nombreux impacts sur l'environnement et la santé des résidents
" Eaux métalliques: dans les Cévennes, un «paradis empoisonné»" 18 aout 2024
[...] Depuis, Michel Bourgeat a vu ses animaux mourir les uns après les autres, tous terrassés par des cancers. Aux mamelles pour deux chiennes, aux testicules pour un chien. Deux ânesses ont succombé d’une leucémie. Jaurès, son labrador noir – surnommé Jojo –, ne souffre pour sa part que d'un léger surpoids dû à son grand âge. « Lui, il reste ici, explique son maître. Les autres mangeaient dehors, ils allaient se baigner dans le ruisseau. » Son épouse n'a pas été épargnée. Elle aussi est décédée après un cancer du sein et de la peau. Lui-même se bat contre la maladie. La prostate, d'abord, puis les poumons, les os, la peau. Même s’il est impossible à prouver, difficile pour lui de ne pas y voir un lien avec le passé minier de la région. D’autant que ses analyses d’urine révèlent des taux d’arsenic huit à neuf fois supérieurs à la normale. « Je suis bourré d’arsenic », constate cet ancien technicien supérieur à la mairie d’Alès. Nanou, son aide à domicile, sourit tristement : « On vit dans un paradis empoisonné. ». Pendant plus d’un siècle, les hommes ont creusé ce bout des Cévennes riche en zinc et en métaux dérivés. Dans les années 1950, le secteur de la Croix-de-Pallières, qui s’étend sur les communes de Saint-Félix-de-Pallières, Thoiras et Tornac, est le troisième plus grand site minier de plomb et de zinc de France. Jusqu’à 175 mineurs y travaillent. Quelque 80 000 tonnes de zinc et 34 000 de plomb en seront extraits. Lorsque la société Union minière ferme le site en 1971 faute de rentabilité, deux millions et demi de tonnes de résidus et de stériles – des matériaux trop pauvres en minerai pour être exploités – sont abandonnées là, en pleine nature. Du zinc, du plomb, du manganèse, mais aussi de l’arsenic, du cadmium, de l’antimoine… que les grosses pluies automnales charrient jusqu’aux cours d’eau et que les vents éparpillent dans la vallée. [...]
Le tournant survient en 2008, quand Geoderis, le groupement d’intérêt public spécialisé dans les risques de l’après-mine, dresse une première cartographie des sites contaminés. Il y est notamment question du terrain d’accueil des « roulards », directement exposés à des résidus miniers « fortement contaminés », mais aussi du Paleyrolles dont la qualité apparaît « grandement affectée ». Le rapport est envoyé au maire de Saint-Félix-de-Pallières accompagné d’un courrier du préfet. Objet : « Zone(s) présentant de fortes concentrations de plomb et autres métaux dans votre commune ». Il n’est exhumé d’un tiroir que deux ans plus tard grâce à la pugnacité d’un habitant, Johnny Bowie. Branle-bas de combat dans le village. L’association des Riverains des mines de la Croix-de-Pallières est créée. Elle deviendra l’Association pour la dépollution des mines de la Vieille Montagne (ADAMVM), de l’ancien nom de l’exploitant du site. [...] Le verdict fait l’effet d’un électrochoc. Vingt-sept familles, dont celle de Michel Bourgeat, portent plainte contre X auprès du pôle Santé publique de Marseille pour « mise en danger de la vie d’autrui ». L’affaire est classée sans suite en 2020. Dans ses conclusions, la procureure de Marseille affirme qu’il n’a pas pu être déterminé « de manière certaine que les métaux lourds présents sur les sites étaient d’origine humaine et non naturelle », et rappelle que « le lien de causalité entre la pollution et les pathologies de certains plaignants ne fait pas l’objet d’un consensus scientifique ». « Il est vrai qu’il est très difficile d’apporter la preuve de la causalité », concède le docteur François Simon, ancien président de l’ADAMVM. Même si l’arsenic et le cadmium sont des cancérigènes reconnus, les pathologies cancéreuses mettent parfois quinze à vingt ans à apparaître, si bien qu’on ne peut pas lier les deux. « Il aurait fallu mener de véritables enquêtes épidémiologiques, faire des comparaisons avec des populations témoins », reproche le médecin retraité. [...]
La lutte pour obtenir réparation est un combat de longue haleine, dans lequel l’ADAMVM vient de remporter une bataille majeure. Le 18 avril dernier, après six ans de bras de fer judiciaire, le Conseil d’État a contraint Umicore, le dernier exploitant des mines, à dépolluer les sites. Jusque-là, le géant belge s’était contenté de confiner la digue à stériles en la couvrant d’une immense bâche imperméable et d'en interdire l'accès avec un grillage. « C’est une décision qui nous satisfait pleinement, se réjouit André Charrière. D’autant qu’elle va faire jurisprudence. Des sites comme ceux-là, il y en a des milliers en France. » L’association SystExt, spécialisée dans l’industrie minière et ses effets sanitaires, sociaux et environnementaux, en a recensé 2 118 précisément. [...]